Quand le viagra permet d’éviter 50% des césariennes

A part les “césariennes de confort”, les actes thérapeutiques d’urgence sont dues à un manque d’oxygénation du bébé qui entraine une atonie utérine et un arrêt du travail d’accouchement. Le Viagra est un puissant vasodilatateur pelvien, qui permet d’irriguer ici, non pas un pénis défaillant, mais un foetus en stress. A manier avec précaution.



La césarienne (ouverture de l’abdomen pour en extraire le nouveau né) est une opération pratiquée depuis la nuit des temps. Sauf qu’avant l’utilisation des anesthésiques, la mère était systématiquement sacrifiée : selon l’Eglise, la priorité était le baptême du nouveau-né, la mission sur terre de la maman s’en arrêtant là.

Les progrès ont eu lieu en trois temps :

  • amélioration de l’asepsie
  • utilisation des anesthésiques
  • arrivée des antibiotiques.

La sécurité est désormais assurée, mais pourquoi autant de césariennes (de 15 à 40% selon les maternités…)?

Il y a les césariennes de confort. Confort de la maman, mais aussi confort du médecin … Et puis il y a les césariennes d’urgence, dues à une anoxie imprévue du foetus. Le viagra se présente comme une solution.

Les progrès pharmacologiques ont permis  de gérer les douleurs et de limiter les surinfections. Mais un troisième progrès s’est instauré : les hormones ou neuro-transmêteurs qui permettent de déclencher et de gérer les contractions utérines.Ce déclenchement « à volonté » du travail utérin n’est pas si simple: il faut à la fois que le bébé soit stimulé, que la paroi utérine soit prête à se séparer dudit bébé, que le col de l’utérus soit suffisamment ouvert, et qu’enfin on puisse déclencher ou aviver les contractions des muscles utérins.

Avec l’usage nouveau, le temps de travail est passé en moyenne d’une trentaine d’heures  pour une primipare, à une douzaine. Et désormais, on estime que 64% des femmes accouchent « sous ocytocine ».

Les produits couramment utilisés ont d’une part les prostaglandines pour provoquer une « maturation du col », puis quelques heures plus tard (le col, dans la doxa gynécologique, est supposé s’ouvrir au rythme de un centimètre par heure), une injection d’oxytocine, une ocytocine synthétique, qui va lancer le travail musculaire du part.

Encore faut-il que ces deux actions soient effectuées au bon moment… L’ocytocine, pour des raisons de timing des maternités, est bien souvent « envoyée » alors que le col n’est pas suffisamment dilaté.

Les conséquences ? Une souffrance du bébé écrasé par des manœuvres prolongées et vaines, des hémorragies importantes, une adhérence fâcheuse des enveloppes après le part. Mais également en cas d’échec, la mise en route  en urgence de césariennes (voir plus haut) qui auraient pu être évitées si le timing du part avait été respecté. On estime que la moitié des césariennes protocole incorrect de ces substances.

Mais il existe un autre protocole de type « les deux en un », qui est pratiqué en parallèle dans les maternités.

En fait, sous couvert d’ocytocine (hormone du bonheur), on utilise d’autres produits plus violents, en particulier le cytotec.

Ce cytotec a pour molécule le misoprostol, un analogue synthétique (donc pas cher) des prostaglandines naturelles.

Un peu d’histoire :

Le misoprostol était utilisé dans les années 80 en gastro-entérologie pour soulager des ulcères gastriques. Médicament moyennement efficace, mais on s’aperçoit vite d’accidents chez les femmes enceintes : elles avortent ! Cette molécule provoque des contractions violentes des muscles utérins.

Bien sûr, le produit est très vite détourné pour réaliser des IVG plus ou moins clandestines. Et il passe petit à un usage régulier, voire systématique aux USA, puis dans le monde entier.

D’une part, le produit est très économique (les prostaglandines naturelles sont très onéreuses), d’autre part, le misoprostol agit à la fois pour détendre le col et pour provoquer les poussées musculaires. Que des qualités !

Sauf que.

Sauf qu’il est plus compliqué à doser, sauf qu’il (voir plus haut) provoque des contractions alors que le col n’est pas prêt, sauf que des hémorragies sont fréquentes, sauf que également, ce produit est utilisé hors AMM pour des naissances sans risque, donc dans une opacité qu’on retrouve jusque dans les dossiers médicaux.

Tout ça pour dire ….

Tout ça pour dire que l’usage aussi fréquent de l’ocytocine et du cytotec entraine (trop) souvent des situations dramatiques où en urgence (et l’anesthésiste comme le chirurgien ne sont pas forcément disponibles) il faut soit forcer le passage (forceps, épisiotomie), soit lancer la césarienne. Et tout ceci dans l’urgence et une certaine improvisation.

Et pourtant …

Et pourtant, il existe un moyen très simple pour oxygéner et vivifier ces bébés, et relancer ainsi un travail normal et un accouchement facilité. Ce moyen, c’est le citrate de sildenafil, alias Viagra.

Il n’est pas d’un usage répandu, car c’est encore un protocole en expérimentation. Expérimentation délicate: en Hollande, un essai thérapeutique pour aider des accouchements de bébés de très faible vitalité ont été brutalement interrompus, le taux de décès étant devenu intolérable. Il faut dire que les femmes sélectionnées dans cet essai étaient dans de mauvais cas gynécologiques, et que la césarienne aurait été plus indiquée. Mais la recherche passe par certains risques … voir certains essais antiCovid menés à la hâte et dramatiquement arrêtés.

En Australie, c’est sur une étude contre placebo sur 300 accouchements, que l’obstétricien Sailesh Kumar a pu comparer les cohortes “avec viagra” et “au naturel”. Toutes ces femmes étaient des parturientes “normales”, sans antécédents ni faiblesses physiologiques connues., et n’ayant pas demandé l’accouchement par césarienne.

Au résultat, les promoteurs de cette étude peuvent avancer que dans le groupe “viagra”:

  • on notait moitié moins de recours à des pratiques brutales (forceps, épisiotomies).
  • on notait moitié moins de recours à une césarienne non programmée.
  • le temps du “travail” de l’accouchement était divisé par deux.

Comment expliquer ces résultats?

Le sildenafil , étudié primitivement pour améliorer la perfusion sanguine du muscle cardiaque, a en fait connu un succès mondial comme vasodilatateur pelvien, avec des effets dilatateurs puissants et prolongés dans les corps caverneux des pénis. Un besoin mondial, une manne pour le laboratoire Pfizer.

Chez la femme en cours d’accouchement, le viagra entraine de la même manière un afflux de sang (jusqu’à + 60%) prolongé au niveau du placenta, et une donc oxygénation du bébé du même ordre.

De même que l’ocytocine et consorts ont révolutionné l’obstétrique, le sildenafil pourrait, utilisé convenablement, compléter la panoplie pharmacologique des médecins et des sage-femmes… et soulager bien des parturientes à venir …

Jean-Yves Gauchet

NOTA: Sur ce sujet, vous pouvez vous procurer le hors-série de notre journal “papier: