Le placenta des mammifères: un rétrovirus était passé par là…

Pour garder bien au chaud des ovules fécondés, assurer leur nutrition comme leur épuration, tout en évitant le rejet immunologique dédié aux organismes “étrangers (50% maman, 50% papa), les premiers mammifères ont mis en oeuvre un organe tout nouveau tout beau: le placenta. Et tout ça grâce à un rétrovirus !

L’Evolution des espèces a été longtemps expliquée (de même que le cancer!), par une série de mutations de l’ADN qui en modifient les caractères biologiques. Récemment, on a bien compris que l’environnement avait largement son mot à dire dans l’expression des gènes, donc dans l’évolution. Mais aussi d’autres facteurs d’évolution, les rétrovirus qui s’intègrent dans le noyau  pour enrichir le génome. Un exemple maintenant bien caractérisé: l’apparition du placenta chez les mammifères.

Les “euthériens” sont les mammifères qui développent un placenta durant la grossesse. Parallèlement, les métathériens” (marsupiaux) ne possèdent qu’un placenta très rudimentaire, la poche marsupiale.

Quelques espèces de reptiles et de batraciens ont développé un “semblant” de placenta selon une nidification maternelle interne appelée squamata.

Le placenta est un organe qui s’édifie et se modifie en permanence pendant tout le temps de la gestation. Le tissu d’origine est l’embryon, dès la mise en route de la blastula, sous forme d’un bouton cellulaire très agressif pour la muqueuse maternelle. Le placenta sensus stricto est par la suite une grosse galette spongieuse, provenant de la fusion partielle du tissu utérin (la décidua) et du tissu foetal (le trophoblaste).

Selon les espèces, le trophoblaste sera plus ou moins intégré au tissu maternel. Chez les primates, on parle de placenta hémochorial, c’est à dire que le trophoblaste (tissu 100% foetal) pénètre dans la muqueuse utérine jusque dans les vaisseaux sanguins de la mère: il existe un contact nutritif et excrétoire direct entre le sang de la mère et l’embryon.

Le placenta assure de nombreuses fonctions vitales tout au long de la gestation:

fonction de barrière placentaire, qui empèche le passage des bactéries et des grosses molécules protéiques, sauf les immunoglobulines.

fonction nutritive: l’embryon extrait du sang maternel des molécules de petites tailles (grosses protéines exclues) via un puissant flux hydrique (plus de 3 litres par jour), mais il synthétise les acides gras et les lipides selon les besoins du foetus.

fonction respiratoire: il y a transfert d’oxygène entre le sang maternel et les tissus foetaux du trophoblaste.

fonction excrétrice: à l’inverse, le sang maternel récupère par simple différence de pression osmolaire, une bonne partie des déchets métaboliques du foetus: urée, acide urique, CO2 …

fonction endocrine (hormonale): le placenta produit de la progestérone, en doublette avec le corps jaune ovarien , et différentes hormones de croissance qui provoquent une hyperglycémie chez la mère (faux diabète).

fonction immunitaire multiple: le foetus constitue une entité étrangère dans l’organisme maternel, car 50% de ses constituants tissulaires sont d’origine paternelle. Il devrait être rejeté, comme une larve parasitaire ou un organe greffé. Mais le placenta constitue une sorte de no man’s land immunitaire où l’organisme de la mère tolère le foetus.

Cette tolérance est expliquée par le taux de progestérone, mais aussi par des productions locales au niveau du placenta, qui bloquent les effets des cellules cytotoxiques maternelles.

Le placenta relie l’utérus maternel et le foetus par le cordon ombilical.

Le placenta est donc un organe mixte, extrêmement complexe et évolutif. A part les marsupiaux (dans la Nature, il y a toujours des impasses, des exceptions …).

Le placenta est toujours “entier” dans les espèces, il n’y a pas de cheminement phyllogénique qui explique comment il s’est imposé pas à pas chez les mammifères. Il s’y est donc inséré d’un coup, à l’occasion d’un évènement qui a touché leur code génétique.

Cet évènement, ce fut l’intégration au génome de “pro-mammifères”, d’un rétrovirus qui est devenu un gène actif.

Au cours de l’évolution, les vertébrés ont été exposés à de multiples infections par des rétrovirus. Certains ont été très pathogènes, à tel point qu’ils ont liquidé leur cible, et eux avec. D’autres se sont discrètement insérés dans la lignée germinale de leur hôte, et distribués ainsi verticalement de génération en génération. S’ils n’ont pas d’action biologique, ils disparaissent ou se retrouvent dans “l’adn poubelle” dont on cherche encore la fonction.

Mais certains font jouer leur capacité de gène, et développent une action au sein de l’hote. Si cette action est négative dans le contexte de vie de l’hôte, le lignée disparaît. Si l’action est positive, la lignée de l’hôte est enrichie de nouvelles fonction et prend le pas sur les espèces concurentes.

C’est le cas des mammifères lorsqu’ils ont acquis cette capacité de nourrir et de protéger le foetus jusqu’à sa naissance.

On a recherché et trouvé quels gènes pouvaient être à l’origine d’une telle évolution. Et l’on est tombé sur un gène que ne pouvait qu’appartenir à un très vieux rétrovirus. En l’occurence, un gène qu’on connaît bien depuis le drame du SIDA: le gène de la protéine d’enveloppe virale.

La protéine d’enveloppe est fondamentale pour que le virus puisse pénétrer dans sa cellule cible. Le virion est composé d’une capside contenant son matériel génétique (ARN), mais cette capside est elle-même entourée par un fragment de la membrane cellulaire  de la cellule dont elle provient. Sur ce fragment, les protéines de surface qui flottaient sur cette membrane, dont les protéines d’enveloppe, fabriquées par la cellule infectée par transcription de l’ARN viral.

Et cette protéine d’enveloppe  (tout le malheur est là …) a une grande affinité pour d’autres protéines membranaires du type de cellules où le virus se développe.

Ainsi, le virus libre va pouvoir se coller à la membrane d’une nouvelle cellule hôte, une adhésion si forte qu’il est littéralement aspiré à l’intérieur de cette cellule pour y délivrer son ARN … et bis repetita…

Dans le cas du SIDA, certaines cellules cibles sont les lymphocytes CD4. A force de “produire” des protéines d’enveloppes, ces CD4 se chargent sur toute leur surface membranaire, à la fois en protéines d’enveloppes et en protéines membranaires d’adhésion. Il se passe alors un phénomène assez rare et ici dramatique: les cellules CD4 voisines jouent entre elles le rôle de la cellule et du virus: elles se collent à plusieurs pour ne plus former qu’un amas, et leurs membranes accolées se fondent pour disparaître dans un cytoplasme pagailleux, on obtient alors un syncitium, une cellule géante à noyaux multiples qui en l’occurence perd toute capacité immunitaire, et ne tarde pas à disparaître par apoptose: c’est le trop fameux “syndrome d’immuno déficience acquise”.

Revenons à nos placentas

Dans le génome des primates, on a trouvé une vingtaine de gènes qui pourraient produire des protéines d’enveloppes. Mais la plupart sont des gènes éteints, sans fonction physiologique. Cependant, deux gènes nous intéressent, ils codent réellement pour des protéines appelées syncitine-1 et syncitine-2, en particulier lors de la gestation. Ces gènes ont été intégrés au génome en deux temps, entre 25 et 30 millions d’années en arrière.

Ces deux syncitines se retrouvent spécifiquement à la surface des cellules du trophoblaste, ce tissu proliférant produit par l’embryon pour “sucer” des nutriments de sa mère. Et elles jouent à fond leur rôle de protéines d’enveloppe virale: comme pour les CD4 lors du SIDA, les cellules individuelles du trophoblaste s’accolent et se mêlent, font disparaître leurs membranes communes, et l’ensemble devient une gelée aux noyaux multiples: le syncitiotrophoblaste.

Ce tissu déstructuré et invasif peut s’introduire profondément dans le chorion maternel pour y puiser toutes les ressources destinées à l’embryon: c’est la fonction même du placenta.

Mais on a trouvé un autre rôle pour ces protéines d’enveloppe, un rôle immunosuppresseur. En effet, on constate la tolérance du système immunitaire maternel pour l’embryon, sans pouvoir vraiment l’expliquer. Or, on a bien observé dans les maladies rétrovirales comme le SIDA, que ces protéines d’enveloppe protégeaient le virus et les cellules infectées conte le système immunitaire du malade.

Pour certains chercheurs, cette immunosuppression serait même la fonction première des syncytines pour “l’invention” du placenta.

En guise de résumé, cette histoire d’”évolu-fiction”:

Il était une fois … une femelle de mammifère très primitif, du genre ornythorinque, qui pondait encore des oeufs, mais qui les gardait en elle une bonne partie de la couvaison.

Et cette femelle fut contaminée par un rétrovirus producteur de syncitine. Mais, fait du hasard, son oeuf presque au bout de son développement foetal, s’est cassé en elle, et le foetus lui-même contaminé a produit de ces syncytines. Oh miracle, au lieu de s’atrophier ou d’être éjecté, ce foetus a développé autour de lui une couche protectrice et nourrissière, une gelée syncyciale qui était le “prototype” des placentas à venir … Puis d’autres rétrovirus, par petites touches, sont venus renforcer ce mécanisme biologique …

Ce phénomène syncycial est rare, il demande la mise en route très ponctuelle de gènes endormis, à l’occasion d’un évènement très précis (gestation, mais aussi stress divers, inflammation, action immunitaire …).

Ce qui nous amène au cancer …

Prenons le cas d’une  métastase cancéreuse. Comme un mini placenta, elle se permet d’infiltrer les tissus contigus, de pénétrer même dans les vaisseaux sanguins pour se nourrir et migrer le long du trajet sanguin … Ces métastases sont le plus souvent sous l’aspect d’un syncycium, et plusieurs théories se téléscopent à ce sujet: est ce parce que ces cellules en multiplication permanente n’ont pas le temps d’édifier des membranes complètes entre elles, ou bien sont-elles englobées dans un syncitium de macrophages sensés les dévorer, mais qui en auraient tout simplement une indigestion, et leur serviraient alors de vecteur de mobilité et de protection contre les lymphocytes … un comble pour des cellules immunitaires !

Ou bien enfin, est-ce selon le même phénomène de molécules rétrovirales endormies, qui se réveillent au cours de la carcinogénèse?

Les études actuelles ont lieu sur des souris, et ce ne sont pas les mêmes rétrovirus d’origine qui sont en cause. Ce qui ne fait pas avancer rapidement nos connaissances. Mais ce phénomène fondamental a au moins le mérite d’expliquer l’évolution des espèces autrement que par les mutations spontanées …

Robert Velay

Bibliographie:

Les syncytines . Anne Dupressoir et Thierry Heidmann . M/S médecine /sciences.