L’homme s’est il auto-domestiqué ?

Quand on compare les caractères physiques et psychiques des Hommes, avec ceux des espèces qu’ils ont domestiquées, on trouve de réelles convergences, en particulier versus les quelques espèces “au naturel” que l’Homme a modifiées.

Cet article prend la suite d’un précédent dans ce blog, intitulé “Et le cerveau humain diminua…”

La domestication d’une espèce, animale ou végétale, est l’acquisition, la perte ou le développement de caractères morphologiques, physiologiques ou comportementaux nouveaux et héréditaires, résultant d’une interaction prolongée, d’un contrôle voire d’une sélection délibérée de la part des communautés humaines. Elle se traduit par une modification plus ou moins profonde du patrimoine génétique de l’espèce, voire la formation d’une espèce génétiquement disjointe (non interféconde avec l’espèce originelle).

Sur plusieurs dizaines de générations, les sujets “domestiqués” présentent, sous l’effet d’une sélection dirigée, des caractéristiques assez semblables:

Outre un dimorphisme sexuel moins marqué, on note que les animaux domestiqués sont plutôt dociles, et la variété de leurs activités est grandement réduite, car ils dépendent moins d’eux-mêmes pour vivre :

Un espace de vie ou un abri est fourni (sans besoin de se le procurer). Une certaine protection contre les prédateurs est assurée. La reproduction peut être ”assistée’‘ : sélection des qualités souhaitées, et élimination physique des ‘défauts’ (comme la violence/ la non docilité). Le ‘‘rayon du repas” (la distance moyenne parcourue pour se nourrir) est réduite. Ledit repas a été préparé/ capturé/ mis à disposition par quelqu’un d’autre. L’accès à l’eau a été aménagé. Des soins sont fournis au besoin.

Cependant, la domestication des animaux par l’homme n’est pas une ‘œuvre” uniquement humaine : nous n’avons fait que profiter de qualités pré-existantes chez ces animaux :  tous les animaux que l’homme a réussi à domestiquer étaient déjà des espèces sociales à l’état sauvage. Il semble que l’homme ne puisse discipliner que les animaux déjà capables de discipline mutuelle et qui possédaient la faculté de communiquer entre eux .

Combien de catégories (espèce, race ou variété) d’animaux domestiques sont identifiés en France ? Deux douzaines pour les mammifères, un peu plus pour les oiseaux, quelques poissons, amphibiens, et insectes.

Un même processus a t’il pu modeler les humains ?

Le processus d’auto-domestication (Allons, osons le terme !) de l’homme a probablement pointé subrepticement le nez dans des unités domestiques, une fois le feu devenu une pratique traditionnelle. Bien avant Sapiens donc.

Le feu constitue un véritable ‘réaménagement du territoire’ qui ”fixe” provisoirement l’homme sur un vaste territoire : il y élimine certaines plantes et permet une nouvelle colonisation végétale qui y attire du gibier. Le « rayon du repas » se réduit. La cuisson permet de stériliser la nourriture, et d’externaliser une partie du processus de digestion (fibres, toxines)…. Ouvrant la voie pour un intestin plus court et des dents plus petites (les nôtres actuelles).

Mais l’auto-domestication n’a véritablement pris son essor qu’ avec la sédentarisation, voici environ 12.000 ans. La sédentarisation précède les villages, cités et États que l’ Écriture permet ensuite de gérer : les premiers inventeurs de l’écriture furent sans doute les proto-Élamites (Iran actuel).

N’ayant pas de “races humaines sauvages” à comparer à l’homme actuel, on ne peut pas faire jouer les mêmes observations/réflexions/affirmations que pour nos animaux domestiqués. Mais on peut s’avancer sur un parallèle sur plusieurs critères:

Chez l’homme, la coexistence à l’intérieur de populations plus nombreuses a ”sélectionné” certaines caractéristiques particulières, communes avec les animaux domestiqués.

L’importante réduction du cerveau en est une, on l’a vu. Le maintien de comportements et aspects juvéniles à l’âge adulte en est un autre : élévation du seuil de comportement d’agression, de peur, de fuite (docilité, comportement moutonnier) (les individus agressifs sont éliminés/ isolés). Le dimorphisme sexuel se réduit, tandis que le fécondité augmente.

Et l’Homme devint pacifique ????

Notre espèce est violente, surtout chez les jeunes mâles. Et l’agressivité, comme les comportements asociaux sont en bonne partie héréditaires. Dans les sociétés où l’usage de la violence est le monopole d’une autorité centrale, les contrevenants sont punis (via bannissement, prison, etc) souvent durant les années où ils pourraient se reproduire. Ce qui, progressivement, exerce une pression à la réduction de la violence dans la société, l’amenant vers plus de stabilité :la fameuse pacification. 

La répression des pratiques asociales n’est pas suffisante : il faut aussi une évolution structurelle de la société :

En parallèle doit s’opérer la « fixation des dominances  ». C’est-à-dire l’acceptation par les populations de la structure de dominance en place : la soumission-adhésion.

Mais quid de la nature agressive de notre espèce ?

En fait, elle est toujours là, et il faut la « nourrir ». Il y a le sport : ce sont des combats très ritualisés, que l’on peut pratiquer en première personne ou par procuration, même à la télé ou au ciné. Les Romains avaient les gladiateurs, on est passé aux sports violents, de plus en plus balisés, mais qui jouent ce même rôle de canaliser la violence.

Panem et circenses … Que le peuple soit satisfait ….


Très récemment, les jeux électroniques et les réseaux sociaux ont pu réveiller, à peu de frais, des tendances de violence, tout en les maintenant sur les écrans.

Et l’on s’appuie sur cette “intelligence collective”

Le processus d’auto-domestication crée ainsi progressivement une entité qui touche sans doute certains groupes d’animaux: l’intelligence collective.

Plus l’intelligence collective est organisée, moins on a besoin d’individus brillants : on a seulement besoin d’individus soumis et efficaces. En termes d’Évolution, cela peut très bien fonctionner : les insectes le prouvent, avec une structure sociale assez rigidifiée, bien qu’ouverte à la diversification adaptative.

Alain Cotta (« La Domestication de l’humain  » Fayard) pose la question : « Plutôt qu’épris de liberté, les êtres humains ne sont-ils pas davantage attirés par une égalité semblable à celle des fourmis, des abeilles et des termites (…) ? Et, roués pour le confort, ne seront-ils pas satisfaits d’une domestication de plus en plus stricte, génératrice d’un ordre social assurant sécurité individuelle et collective ? »

Car, dans une recherche de sécurité, d’égalité et de confort, une fois que l’on a accepté-intégré les règles de vie plus strictes/ spécifiques, et la soumission qui va avec, et que l’on pratique le tout sans s’en trouver plus mal, alors on ne se sent pas contraint : on se sent (ou du moins on se croit) donc libres.

Cet article qui se garde bien d’avancer des considérations sociales ou politiques, est largement inspiré d’un billet très fourni de JP Ciron.