Fruiticulture: les moutons meilleurs que les pesticides.

Les arbres fruitiers, en particulier les pommiers, demandent jusqu’à 25 traitements phytosanitaires par an. Le passage de moutons au pied des arbres permet de diviser par quatre l’utilisation de ces poisons, avec pour suite logique du passage à une production « bio » au bout de deux ans. Pour l’exploitant, c’est un quasi changement de métier. Avec de multiples satisfactions.

Les arbres fruitiers actuels sont victimes d’une maladie chronique : le productivisme. Les sélections successives ont mis en avant les caractères économiques de la plante, au détriment de sa capacité de défense contre insectes et champignons.

On demande à l’arbre de produire des fruits très beaux (critères esthétiques discutables, on est presque dans le domaine des cosmétiques), faciles à cueillir (fructification dans une courte période, et dans des branches basses), et robustes au maniement et à la conservation.

Les agronomes ont fait le job, et les étals de la grande distribution nous présentent toujours les mêmes variétés, comme les golden, les gala, ou autres granny smith.

L’œil prime sur le nez chez le consommateur, ce qui lui permet de se ruer sur des pommes (poires, prunes, raisins, etc) gavées de pesticides, qu’il faut laver avant ingestion, ou bien qu’il faut peler en jetant alors 70% des bienfaits du fruit … 

Quant aux exploitants, ils vivent dans la crainte permanente de productions altérées au moindre incident de météo, du fait de diverses maladies dont les deux principales sont la tavelure et les cochenilles.

LA TAVELURE : DES CHAMPIGNONS DÉTESTABLES

Avec la moniliose et l’oïdium, la tavelure est une affection fongique très délabrante pour les pommeraies. Elle est causée par un champignon ascomycète, le Venturia inaequalis (des milliers de souches), et entraine des lésions noirâtres à la surface des feuilles et des pommes, qui deviennent de ce fait invendables.

La maladie se développe en conditions humides, au moment du débourrement (ouverture des bourgeons au printemps), lorsque les parties neuves du pommier sont encore très fragiles. La chute des pétales de la fleur représente une plaie ouverte, et un point d’entrée pour le champignon.

La maladie n’est qu’une « dermatose » pour l’arbre, mais la qualité commerciale des pommes peut chuter gravement. La tavelure nécessite habituellement plusieurs traitements annuels de fongicides, et des mutations régulières imposent de trouver en permanence des produits actifs.

LA COCHENILLE : DU TRONC À LA FEUILLE

Les cochenille sont de petits insectes qui ne feraient pas tant de dégats s’ils n’étaient si prolifiques.

Les larves (L2) passent l’hiver dans des anfractuosités de l ‘écorce. Au début du printemps, elles migrent sur les jeunes pousses foliaires et deviennent adultes au printemps : c’est là qu’elles pondent, et qu’apparaissent les premières larves L1, les plus goulues, qui attaquent les feuilles par leur face inférieure qui ne possède pas de couche protectrice cireuse.

Les pommiers perdent ainsi une bonne partie de leur vitalité, d’autant que les cochenilles introduisent des virus pathogènes, et partagent leur ripaille avec d’autres insectes par le biais d’un abondant miellat.

Les traitements chimiques se font l’hiver lorsque les L1 se transforment en L2, et n’ont plus leur bouclier de chitine.

LES SHROPSHIRE : DES MOUTONS BIEN SAGES

Les Anglais ont toujours eu une longueur d’avance dans le domaine ovin : ils ont adapté des dizaines de races dans tous les continents du temps de l’Empire, mais aussi plus proches, dans leurs Midlands.

Les moutons Shropshire sont issus d’une vieille race rustique, élevée dans de petites exploitations, et qui présente des qualités intéressantes de frugalité et de productivité mixte, viande et laine.

On s’est vite aperçu dans les bocages anglais, que lorsqu’on mettait à pacquer ces moutons dans les vergers, les arbres produisaient mieux, des fruits de meilleure qualité.

Pourtant, et comme pour les antibiotiques en médecine, on est passé aux pesticides trois fois, puis cinq fois , puis dix fois dans l’année… Et l’on a empoisonné les consommateurs pendant des dizaines d’années.

Mais le consommateur se rebiffe, tandis que l’arboriculteur se ruine en chimie fine.

Quelques paysans dissidents avaient gardé le « savoir-faire moutons », et le virage vers le bio les a mis en valeur.

Mais c’est par le biais des sapins de Noel que le phénomène a vraiment pris de l’ampleur.

Car c’est un écossais, expatrié au Danemark pour y cultiver des sapins de Noel, et qui a emporté avec lui ses moutons, qui a pu quantifier les avantages de cette méthode.

Le Shropshire peut être laissé en liberté au travers des plantations d’épicéas, de pins, et de sapins. iI se frotte aux écorces qu’il débarrasse de larves d’insectes, il piétine la base des conifères, et enfouit par là-même les herbes qu’il ne consomme pas, et tout ça sans s’attaquer aux ramures, donc en laissant intacts des arbres de 4/5 ans avec leur silhouette de sapin de Noël…

C’est désormais dans les vergers anglais, mais aussi français, que l’on voit apparaître des moutons Shropshire, ce qui représente un tournant important dans une exploitation.

Plusieurs études les concernant sont disponibles, en voilà un résumé.

Les caractéristiques du pacquage :

Les moutons sont dociles, faciles à gérer au milieu des arbres. On peut créer des parcelles de pâturage avec des clôtures mobiles faciles à installer, les ovins ne cherchent pas à s’en extraire. Ces moutons n’ont pas un comportement de chêvres, ils ne broutent pas les ramures basses, et ils ne grignotent pas non plus les écorces des arbres. Inversement, lors de la taille des branches, les rameaux laissés à terre sont consommés et servent d’aliment gratuit.

En général, les moutons restent trois semaines dans les mêmes parcelles, et on les déplace un peu plus loin, là où l’herbe a eu le temps de pousser.

Il faut tout de même se méfier lorsque les arbres sont encore très jeunes, les moutons peuvent alors apprécier leur tendreté et faire quelques dégâts.

Les moutons délaissent les feuilles mortes, mais leur piétinement permet de les enterrer, et avec elles les spores de la tavelure qui ne peuvent plus projeter au printemps des connidies qui pourraient contaminer le pommier pour l’année suivante.

Les moutons se contentent d’abris sommaires, mais il leur faut une eau saine, ce qui peut être difficile dans certains versants qui supportent des cultures fortement imprégnées de pesticides.

On propose une densité de 4 à 6 animaux par hectare selon la pluviosité, donc la repousse de l’herbe.

C’est tout l’intérêt, avec ces moutons de pouvoir passer au bio en quelque années, en modifiant ainsi l’écosystème du verger, et en diminuant drastiquement les besoins en pesticides.

En gros, on a pu calculer qu’il y a autant d’heures de travail à gérer les parcelles, à surveiller les moutons et à les tondre, que de couper l’herbe et la sortir des vergers, que de ramasser les feuilles mortes qui s’accumulent et constituent des nids à tavelure.

Les moutons se régalent aussi des pommes véreuses qui tombent spontanément au pied de l’arbre, ils réduisent ainsi la pression parasitaire des carpocapses (papillon de crépuscule dont la chenille est le parasite de la pomme).

Par ailleurs, le piétinement fait fuir les mulots ou campagnols (gros ravageurs de vergers par leur consommation du système racinaire des fruitiers) dans les parcelles avoisinantes.

Avec un bénéfice évident : la laine et la viande des agneaux mâles

Et une économie manifeste, celle des traitements de pesticides qui sont divisés par quatre …

Mais quelques frais concernant les ovins : prévoir du fourrage d’hiver, plus tous les frais vétérinaires et de la tonte.

Concernant la gestion des tâches, coup de chance : les périodes très tendues de la récolte de pommes correspondent à une période où les brebis sont au calme, en gestation pour la plupart. Inversement, la période hivernale des agnelages correspond à un moment où les arboriculteurs sont au repos forcé …

Actuellement, cette méthode d’agriculture mixte s’étend à toute l’Europe, dans les plantations de petits conifères, dans les vergers, mais aussi plus récemment dans des exploitations où l’on combine la vigne, les fruitiers, et les moutons.

Ce virage professionnel peut s’accompagner de conseils, nous avons profité pour la rédaction de cet article, de l’expérience de Nicolas Broussaud .

Jean-Yves Gauchet