Venins, poisons, toxines … Remèdes et antidotes…

La Nature n’est pas avare en substances dommageables pour des organismes biotiques. Mais ceci dans un cadre d’équilibre naturel, structuré par des millions d’années d’évolution du Vivant. Et puis l’Homme est arrivé, chimiste chevronné, inventeur de milliers de molécules synthétiques inconnues de nos organismes. Notre petite bulle appelée Terre en est désormais saturée, leurs effets s’observent à tous les niveaux.

Les poisons naturels : tu t’approches, tu meurs !

Dans le large éventail des défenses vitales, la Nature a élaboré le toxique.
Une substance redoutable qu’on dira venimeuse si elle a une action offensive, qu’on dira vénéneuse si sa démarche n’est que défensive.
Ainsi le dard du frelon est venimeux, alors que le fugu japonais contient une substance éminemment vénéneuse, bien plus toxique que le venin du frelon …
La différence est parfois difficile à cerner, chez les méduses par exemple, où le même poison (mélange de neurotoxines et d’enzymes de prédigestion des proies) sert à la fois d’instrument de prédation et de mode de défense …

Les poisons sont des critères de sélection naturelle extrêmement puissants, et ils ont déterminé les rapports (vitaux !) entre les espèces d’un même écosystème.
Soit en impliquant un comportement d’évitement (« tu m’approches, t’es mort » !), ce sera le cas pour tous ces batraciens tropicaux aux couleurs vives et aux poisons cutanés foudroyants, soit en exploitant soi-même le contre-poison qui permet de survivre au contact, ce sera le cas par l’ingestion d’argile ou de plantes riches en tannins qui vont neutraliser des alcaloïdes toxiques. L’éternel équilibre en le glaive et le bouclier …

Les grenouilles amazoniennes sont réputées pour la toxicité de ses glandes cutanées.

Un animal peut se trouver vénéneux par son propre comportement alimentaire : ainsi les Hébreux dans le désert du Sinaï s’intoxiquèrent en consommant des cailles qui elles- mêmes se nourrissaient de graines d’ombellifères dont la cigüe. On peut aussi citer ce miel empoisonné par les toxines de Rhododendron et d’Agauria, qui a défait l’armée grecque de Cyrus en 404 avant JC …

De fait, l’équilibre naturel entre les espèces, qui repose apparemment sur les relations prédateur/proie et sur les capacités de collaboration ou de symbiose, tient en fait bien souvent sur des critères de toxicité sous-jacente.
Sur ce point, la Nature est économe… on retrouve certains principes toxiques chez des espèces très éloignées (batraciens et oiseaux) … sans doute des résidus hasardeux de métabolismes qui trouvent dans leur toxicité une « utilité » pour leur espèce : les individus rescapés d’une intoxication vont « retenir la leçon, et la transmettre (il y a là bien sûr les grands mystères de l’épigénétique et de la transmission de souvenirs d’une génération à l’autre).

Des études ont montré que les papillons issus de chenilles intoxiquées par certains alcaloïdes, se méfiaient spontanément du même poison …

Des substances minérales naturelles peuvent, elles aussi, avoir une action toxique, c’est le cas de métaux comme le mercure, le plomb, le chrome, ou de métalloïdes comme l’arsenic. A l’état natif, leur toxicité (sauf le mercure) est peu avérée, mais c’est après une transformation chimique qu’ils forment des sels solubles capables eux-mêmes de se lier à des molécules du vivant et de présenter une toxicité.

On remarquera que les organismes sur le long terme peuvent s’accommoder de certains de ces poisons, par le développement de métabolismes particuliers : c’est le cas des fougères, ou de la houlque laineuse, cette plante fourragère, qui présentent une étonnante résistance aux arséniates.

Du poison au remède : drogues naturelles et thériaques

Selon les religions premières, pour contrer les poisons du diable, seule un intervention divine pouvait sauver les malheureux intoxiqués.
Mais des milliers d’années d’observation de la Nature… et l’accumulation de hasards bien venus ont prodigué aux hommes des savoirs qui n’avaient rien de surnaturels : ainsi Ötzi, cette momie retrouvée dans un glacier autrichien et vieux de plus de 5000 ans, était truffé de vers (trichines), mais il avait sur lui en réserve des champignons séchés de type Piptoporus qui les combattent par un effet laxatif. De même il présente sur la peau des scarifications, stigmates de pratiques médicales de type « mésothérapie » en frottant des sucs végétaux dans une plaie cutanée… on redécouvre les patches depuis seulement une vingtaine d’années …

Ces remèdes et ces pratiques, détenues par des chamanes (donc dans une sphère mystique), n’ont pas échappé aux premiers savants, tout à la fois philosophes, conseillers du Prince, et responsables de la santé des citoyens … En Grèce comme en Egypte ou en Mésopotamie, l’Ecriture permet de référencer et de partager des savoirs que la tradition orale laissait stériles.

En -2700 avant JC, le chinois Shennong répertorie 365 médicaments naturels, dont de nombreux poisons animaux, minéraux ou végétaux. Shennong est mort d’ailleurs en expérimentant sur lui-même une herbe toxique …
Bien plus tard (50 après JC), Discoride publie son ouvrage De materia medica, dans lequel il passe en revue les poisons et leurs antidotes, et sera la référence pendant 12 siècles, jusqu’à la Renaissance, où les travaux alchimistes renforcés d’une méthode scientifique ont donné lieu d’une part à la chimie moderne, d’autre part à une pharmacologie naissante.

Paracelse, entre autres, pose les bases d’une doctrine du médicament issu d’un toxique, mais qu’on utilise prudemment pour tel cas et avec telle dose. Il s’appuie sur une théorie douteuse (la théorie des signatures, selon laquelle la plante par sa forme, ou sa couleur, indique à l’homme comment l’utiliser comme remède) pour formuler des préconisations qui elles, sont tout à fait performantes.

Exemple (voir photo) : la grande pimprenelle de couleur rouge sang, indiquerait qu’elle tarisse les hémorragies comme une éponge. De fait, elle est riche en tannins qui effectivement provoquent la coagulation.

Ce savoir botanique et médical donne lieu à la profession d’apothicaire, qui contrairement aux sorciers et alchimistes, sera habilitée à manipuler les produits toxiques selon des protocoles encore emprunts d’un empirisme performant.
Selon une méthode qui remonte au roi Mithridate, les apothicaires se font un spécialité de préparer des remèdes contre les empoisonnements, tant dus aux aléas de la Nature (venins d’insectes ou d’ophidiens, aliments avariés, plantes toxiques) qu’aux maléfices des sorcières (mandragore, jusquiame, cigûe, arsenic, mercure …).

C’est la période bénite pour les apothicaires, de proposer à prix d’or leur thériaque, mélange réalisé dans le plus grand secret de tous les toxiques, et supposée être une panacée contre tous les empoisonnements.

Du remède au poison … quand le médicament devient toxique

L’affaire du Médiator a levé le rideau sur une situation latente et dramatique : les abus ou les erreurs médicamenteuses, prudemment appelés iatrogènes.
Les centres de pharmacovigilance avancent le chiffre de 150 000 personnes
rendues malades par des médicaments, avec corrélativement plus de 30 000 décès annuels. Ceci bien sûr rien qu’en France.

Ces chiffres correspondent à des accidents iatrogènes, c’est à dire dans un cadre médical. Il faudrait y ajouter les ravages dus aux automédications inavouées, le plus souvent pour cause de toxicomanie substitutive.
Plusieurs cas de figure à traiter bien séparément :

  • –  les erreurs de prescription ou d’observance. Ils sont sous la houlette du corps médical, et requièrent une attention accrue à tous les niveaux (médecin, pharmacien, infirmière, famille), ainsi que des présentations médicamenteuses améliorées. A lire absolument dans ce blog: “Autopsie d’une erreur médicale”
  • –  Les polyprescriptions de remèdes, en particulier sur les personnes âgées, en sont un cas particulier. Un dossier médical partagé (le sempiternel secret médical étant parfaitement contre-productif) est une solution indispensable.
  • –  Les détournements narcotiques ou récréatifs, sur un nombre limité de spécialités, bien répertoriées, par le biais de praticiens indélicats ou de cambriolages. Ces erreurs d’observance et ces détournements deviennent une menace de santé publique, en particulier par la prise à fortes doses d’antalgiques aux effets narcotiques.

Les courbes ci-dessus précisent l’évolution des décès aux USA selon les antalgiques détournés. Comme on le voit, les principaux vecteurs de décès sont (en vert) les opioïdes de synthèse, qui dépassent désormais l’héroïne.
En tête de liste, le Fentanyl, un opiacé 50 fois plus puissant que la morphine avec moins d’effets sur la digestion (constipation) donc privilégié par les médecins.
En France, le Fentanyl (vendu sous le nom de Fentanyl, ou bien de Durogesic), est sévèrement contrôlé, on constate peu de dérives frauduleuses.
Mais aux USA, c’est devenu un problème national. D’autant plus qu’un fabricant machiavélique a lancé une spécialité en spray, qui permet d’apporter un soulagement immédiat, en particulier aux malades du cancer.
Ce produit, le Subsys, a été plébiscité par le corps médical, un peu beaucoup même puisque une enquête du FBI a débusqué de drôles (???) de pratiques : le labo payait des médecins pour en prescrire à des non cancéreux, idem aux pharmaciens pour laisser filer des ordonnances douteuses : à 20 000 dollars par mois le traitement, c’était la fortune assurée pour le labo et toute la chaîne des fripouilles en blouse blanche.

En France, le Durogésic n’est disponible que sous forme de patches, son usage limité à 14 jours … c’est le plus souvent le temps d’un traitement palliatif en fin de vie…).

Chez ces gens là, on s’arrange toujours. Un autre labo (Perdue), a été redressé de 634 millions de dollars pour une fraude au Fentanyl, il en sera de même pour le Subsys…

En France, il a fallu faire le ménage à propos de la codéine.
Il s’agit d’un excellent produit contre la douleur, également pour calmer la toux. Utilisé depuis un siècle sans trop d’ennuis, il a même été sorti des prescriptions médicales en association avec du paracétamol (le fameux Codoliprane), et de ce fait utilisé spontanément par des milliers de souffreteux pour gommer des douleurs quotidiennes. Oui mais … ces produits à base de codéine ont été activement détournés par « les jeunes » selon la recette du « purple prank », à savoir codéine + somnifère + soda comme le Sprite. A l’arrivée, un cocktail récréatif qui ne coûte rien (les produits à base de codéine sont à moins de 5 euros), et qui faisait de gros dégâts dans les cours de récréation. Tout produit à base de codéine est désormais soumis à prescription, au grand dam des réels souffrants qui doivent du coup aller régulièrement chez leur médecin pour prescription … et ce qui laisse la place libre au trafic de codéine sur internet …

Une planète empoisonnée.

Dans sa version “papier” Effervesciences a publié trois numéros successifs (n° 100, 101 et 102, disponibles ici) sur les dangers cachés (et réfutés alors par le Système scientifique) de milliers de substances à très faibles doses, qu’on a réunies dans un fourre-tout appellé « perturbateurs endocriniens ». Fourre-tout parce que molécules de tous ordres, et aux effets à la fois aléatoires (et donc difficiles à attester) et multiples.
« Très faibles doses, donc très peu d’effets, ou pas d’effet du tout ! » Voilà l’argumentaire implacable des industriels et des dirigeants politiques, qui a eu cours pendant cinquante ans.
De fait, il fallait réinventer toute la toxicologie pour comprendre les subtilités du drame qui se joue : les élites scientifiques au seuil du XXIème siècle raisonnaient encore sur le principe de Paracelse : « Rien n’est poison, tout est poison, c’est la dose qui fait le poison », ce qui en soit n’est pas faux, sauf si on l’associe à un autre dogme, celui de l’effet dose.

L’effet dose, c’est le principe majeur de la pharmacologie moléculaire : le résultat clinique est proportionnel à la dose employée jusqu’à une dose toxique à ne pas dépasser. Inversement, le résultat ne s’obtient qu’à partir d’une dose minimale qui dépend du remède, et du poids du patient.

Un principe imparable pour les médicaments « anti » ou de substitution. Oui, c’est ainsi que ça marche.
Et dans les doses infra efficaces ? Les chercheurs n’avaient pas vraiment fouillé le problème. Avec en prime ce déferlement de répugnance pour le sujet suite aux travaux de Benvéniste: quiconque travaillait sur le sujet était réputé inconvenant et perdait tout crédit scientifique …

Et pourtant !
Et pourtant, on savait que l’action à petite dose d’une substance permet dans le temps d’avoir un effet protecteur, c’est le principe de la mithridatisation pour les toxiques, c’est aussi le principe de la vaccination, ou celui inverse de la désensibilisation des allergiques.
Et pour des actions physiques, c’est le phénomène de l’hormèse (ou encore hormésis), alias « l’éperon de la vie » : des épreuves comme l’hypoxie, la restriction calorique, l’exposition à la radioactivité, l’hypergravité, la chaleur ou le froid, ont un effet protecteur contre la même action. En accord avec la sentence « ceux qui n’en sont pas morts s’en trouvent renforcés ».

L’hormèse est représentée dans le schéma ci-joint (ici par rapport à l’action d’une molécule Nrf2) : sous une certaine dose, elle apporte un bénéfice à l’organisme, au dessus, c’est la zone de toxicité. Et que ce passe t’il quand on diminue encore la dose ? Hé bien l’effet protecteur de l’hormésis se transforme en effet négatif, très ténu, mais qui sera tangible avec le temps.

Et lorsque plusieurs substances agissent de concert à très, très faible dose, on en perd la trace physique, mais on en constate les effets biologiques.
C’est ainsi que de chercheurs obstinés ont mis en avant des réalités cachées dans l’infiniment dosé et qui sont (pour l’instant) au nombre de cinq :

  • –  l’effet d’accumulation : telles substances sont à peine mesurables dans l’environnement ou l’organisme … sauf qu’elles s’accumulent préférentiellement dans un tissu où elles deviennent toxiques.
  • –  L’effet paradoxal décrit plus haut : une substance sera d’autant plus active (voire toxique) qu’elle est à très faible dose (ouhhh ! mais si c’est vrai, ça justifie l’homéopathie !)
  • –  L’effet fenêtre : certaines substances à doses infimes, seront toxiques dans un laps de temps biologique précis, par exemple la grossesse.
  • –  L’effet cocktail : face à un grouillement de toxiques, notre système endocrinien, lui-même multiforme, réagit comme il peut, mais mal … On note certaines synergies entre les poisons, en particulier pour expliquer le déclin dramatique des populations d’abeilles : utilisés séparément sans dommages, un insecticide et un fongicide à mêmes doses entrainent 75% de mortalité en 24 heures …
  • –  L’effet transgénérationnel : ces pathologies masquées peuvent se déclencher non pas sur la mère, mais sur la ou les générations suivantes, soit spontanément, soit sous l’effet cocktail d’autres toxiques.

L’ère des maladies complexes

Ce mélimélo toxique entraîne forcément un mélimélo médical : on n’est plus dans le dogme « une cause, une maladie, un traitement », on entre dans l’ère des maladies complexes difficiles à cerner, encore plus compliquées à soigner.

Le schéma ci-dessus des intrications causes/pathologies montre la complexité du problème actuel.
Certes, la gravité des causes est désormais prise en compte par nos Autorités et de grands chantiers sanitaires sont en cours : le tabac, le diésel, après l’amiante et le bisphénol, sont en voie d’éradication.

Mais comment réagir contre 400 carcinogènes environementaux , plusieurs milliers de perturbateurs endocriniens et (pire encore) neurotoxiques ?
On les appelle désormais les POPs, ou Polluants Organiques Persistants, ils se caractérisent par 4 propriétés : ils sont organiques (contiennent du carbone), persistants (se dégradent lentement), bio-accumulables, et désormais omniprésents, on en retrouve au pôle nord ou par -200m dans les océans …

Toutes les fonctions sont touchées, respiratoires (asthme), circulatoires (hypertension et la suite), endocriniennes (infertilités, obésité, thyroïdites), immunitaires (allergies, auto-immunités), avec en prime les cancers et les maladies dégénératives.
Un régal pour l’industrie « du médicament » qui a désormais des clients à vie avec des pathologies croisées … et pour couronner le tout les effets iatrogènes évoqués en début d’article.

La vraie solution personnelle consiste à épurer l’organisme, régulièrement, en particulier avant une gestation. Les animaux savent le faire, par des « mises à l’écart » comme l’hibernation … A nous de réapprendre ces réalités …

Jean-Yves Gauchet

A lire ou relire absolument, notre article sur l’hormèse sur ce blog.